Chronique Pierre Durand / Citizen Jazz

C’est peu de dire que l’on attendait le deuxième volet des aventures de Pierre Durand avec impatience, enchantés que nous étions par son premier chapitre solo Nola Improvisations. Il aura donc fallu attendre quatre ans (soit une éternité !) pour enfin voir son petit frère. Il se prénomme ¡ Libertad ! et se porte comme un charme, merci pour lui. Enregistré avec son Roots 4tet, l’album est une déclaration d’amour à la musique, à toutes les musiques, sans que soient évoqués les mots de frontières, de cases ou d’étiquettes. Il reflète la grande liberté avec laquelle Pierre Durand construit son univers ambitieux et singulier. Dans les notes de pochette de ¡ Libertad !, le guitariste ose nous livrer la formule de sa tambouille magique : « Cet album est un plaidoyer pour la différence, le risque et la sincérité. Il reflète ma démarche de musicien : mélanger les cultures et l’imprévu. » Pierre Durand cite ainsi les sources auxquelles il abreuve sa musique et dans lesquelles il étanche sa soif de découvertes et d’aventures ; les musiques qui l’inspirent et le font voyager. De voyage, il est beaucoup question à l’écoute de ¡ Libertad ! On passe d’une ambiance à une autre, d’un horizon à un autre, d’un folklore à un autre.

« Tribute » est un vibrant hommage à l’Afrique, celle de la traite négrière et des origines du jazz, dans lequel le saxophone sensuel et lancinant d’Hugues Mayot répond aux tambours tribaux de Joe Quitzke, à la contrebasse minimaliste de Guido Zorn et aux chants plaintifs du chœur des musiciens. « Llora, tu hijo ha muerto » est une berceuse magnifique venue des contrées latino-américaines. « ¡ Libertad ! » évoque les rituels chamaniques des Amérindiens autant que le mythe américain âpre, sauvage et lyrique de la conquête de l’Ouest. Les fantômes de Kerouac, London, Jon Krakauer ou Cormac McCarthy semblent s’emparer du saxophone rageur d’Hugues Mayot et de la guitare aérienne du leader pour guider notre chemin à travers l’épaisseur de paysages solitaires et désolés. « White Dogs » est un blues à l’ancienne, épais et granuleux, dans lequel Pierre Durand se mue en guitar-hero pour balancer des riffs à la Led Zeppelin. Quant au triptyque « Self portrait », morceau central de l’album, il synthétise à merveille tout le spectre de la musique du bonhomme : mélodies fluides et oniriques, sonorités rondes et originales (on croit entendre par moments une kalimba ou un ukulele), goût pour la danse, réminiscences de folklores populaires, emprunts hétéroclites assumés (en vrac, Weather Report, Paul McCartney, Pat Metheny, John Coltrane).

Pierre Durand s’autorise tout. Il trace son chemin avec sincérité et générosité. Fin mélodiste, puissant narrateur, il réinvente le concept de pop song, ces chansons populaires (au sens noble du terme) qui parlent à tout le monde. Avec un sens certain de l’économie, Pierre Durand va à l’essentiel. Ni trop, ni trop peu. Sa musique touche au cœur. Sous une apparente simplicité se cache une attention de tous les instants aux moindres détails, aux moindres sons, à la moindre note. Un perfectionnisme rigoureux et engagé. Le magicien Pierre Durand rend simple et limpide une musique pourtant très élaborée. La marque des très grands en quelque sorte.

Voir l’article